mercredi 27 avril 2016

sur ma table de nuit #7

"Le défilé, ce n'est pas compliqué, il est constant. (...) Voici une femme en jupe. Elle discute avec une amie à dix mètres du banc, debout devant une table en terrasse. Sa jupe a un tombé inédit, le banc frémit: "C'est dans le biais", chuchote Méliné, à l'aise dans le seul vocabulaire qu'elle maîtrisera jamais, celui de la couture. Anahide le note.
Méliné:
"C'est laine mousse. C'est gris-bleu."
(...)
"C'est longueur mollet. Pli creux. C'est taille haute."
La femme retourne s'asseoir.
" C'est boutonné où?" demande Knar.
C'est vrai où?
"On ne sait pas? dit Anahide en s'adressant à sa soeur.
- Va voir, Knar", dit Méliné.
Knar rentre dans le café.
(...)
Sur le banc, elle explique:
"Comme de la ficelle entrelacée, ça fait des huits, d'un côté il y a une boucle, et de l'autre comme une pelote de laine microscopique, mais en ficelle, et qui entre dans le boucle et c'est comme ça que ça se ferme. Je le jure."
Méliné:
"C'est comme je montrer toi sur militaires défilé du 14 juillet?
- Oui! Mais en beaucoup plus petit."
Méliné ferme les yeux.
" O seigneur, c'est brandebourgs!"
Elle attendait l'occasion d'énoncer ce mot qui la fascine.
Elles rentrent rue d'Alésia et elles font la jupe."

("La Vocation", Sophie Fontanel)

de Sophie Fontanel je connaissais les rubriques dans ELLE, drôles parfois, et sa démarche d'assumer vraiment ses cheveux blancs m'a conquise, moi qui grisonne de plus en plus et dont rien n'est plus pénible parfois que les commentaires des coiffeuses "vous ne voulez pas faire une teinture? non, vraiment?? c'est si dommage... vous êtes jeunes, vous devriez...".
Quand son livre est sorti, j'ai longuement hésité. A chaque passage à la libraire, attirée, je l'avais en main. Je l'ai feuilleté, je l'ai tenu un moment et puis non je l'ai reposé, hésitante. La beauté d'un vêtement, d'un tissus, d'un motif, l'histoire et l'évolution de la mode ça me fascine, ce livre m'attirait, normal en somme, mais peut-être n'était-il qu'une bonne campagne de pub et que finalement bof quoi?... et puis au énième passage de librairie, en France finalement, les deux petits euros en moins par rapport à la Belgique m'ont fait tanguer :), je l'ai embarqué... au soir dans mon lit je me suis plongée dans cette histoire inspirée de sa famille et j'ai fini par le dévorer en peu de temps.

"Kleider machen Leute" ("l'habit fait le moine") on dit en Allemagne, et c'est tellement vrai. En lisant le livre je voyais mon grand-père français toujours tiré à quatre épingles lorsqu'il sortait pour faire une simple course, comme prendre de l'essence par exemple. Il était fils d'agriculteur, à la ferme il n'y avait pas grand chose, mais sa mère accordait beaucoup d'attention à ce que la maison soit soignée. Lorsqu'ils sortaient après le travail, ils étaient toujours bien habillé, les mains propres. En travaillant dur et avec une bonne dose d'intelligence, il a réussi à quitter la ferme et à faire une belle carrière à Paris. C'était le sommet de la réussite lorsqu'on venait d'un petit patelin du nord... Être un homme élégant et bien vêtu selon les circonstances y était aussi pour quelque chose. 
De l'autre côté de la famille ma grand-mère allemande a toujours veillé jusqu'à la fin à sa garde-robe. Petite j'admirais ses bracelets en argent, leurs doux "cling-cling" en tricotant ainsi que ses grosses bagues et ses rangs de colliers à n'en finir... Tout dans sa tenue était coordonné. Il y avait une couleur dominante - sa pouvait être le corail un jour, bleu klein un autre - qui était le fil rouge de l'ensemble. Même ses bagues changeaient en fonction de la couleur du jour. Elle était très coquette, et disait toujours "le jour où cela ne m’intéressera plus de savoir ce que je mets, si telle couleur ira avec une autre, tu sais, alors là ce sera fini...". C'était une tricoteuse hors pair.
Ma grande-tante allemande, plus sportive et pragmatique (elle était prof de sport et d'ouvrages dans un lycée pour jeunes filles), avait une autre approche de l'élégance. Pour elle la qualité du tissus, la façon dont il était travaillé et s'il était adapté à l'usage que l'on voulait en faire importait beaucoup. Elle était prête à nous offrir une veste un peu plus chère si elle "en valait" la peine, c'est à dire s'inscrivait dans la durée.

un vêtement ce n'est pas anodin, pour chacun cela signifie ou apporte autre chose... en lisant "La Vocation" tous ces petits détails, mes souvenirs familiaux ont fini par s'entremeler avec les anecdotes du livre. C'est touchant, drôle par moment. C'est une histoire de femmes, de mode, de l'élégance, d'époque aussi, d'une passion commune pour le beau... Ce fût une belle surprise et un réel plaisir de lecture!

4 commentaires:

  1. J'avais trèèèès envie de le lire, ton billet me convainc définitivement !

    Hier, j'ai reçu 3 bouquins Laura Ashley*, achetés en seconde main, £14 fpd inclus sur Abeb°°ks, ma mère rigole beaucoup à cette idée...

    *Parmi les 3 bouquins, celui qui m'a le plus fascinée, enfant, sur les 6 maisons emblématiques du couple Ashley, dont leur maison bruxelloise, rue Ducale (où Laura est décédée).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. :)) ça se lit facilement et c'est très bien comme ça... l'histoire inspirée de sa famille est vraiment belle, j'ai trouvé cela très touchant... elle leur rend un bel hommage et en même temps c'est drôle... et quand on aime les chiffons et ben c'est un beau livre :)...
      par contre ton histoire de Laura Ashley m'intrigue?? :) faudra que tu m'en dises plus à l'occasion :)

      Supprimer
  2. PS : C'est super chouette de se rappeler de tous ces détails, insignifiants-pas-insignifiants de nos parents, grand-parents... <3
    (Mon grand-père paternel était toujours en knickers, sans ton billet, je n'y aurais plus pensé...)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. ohh c'est drôle ça en knickers... oui ces petits détails on y pense pas toujours, et c'est sympa quand un livre produit cet effet de se rappeler ce genre de chose...

      Supprimer